Littérature et reproduction des classes sociales : le style, un outil de distinction sociale.

Voilà j’ai parlé comme Bourdieu là. Les bobos devraient avoir l’œil posé sur le texte. Cela tombe bien c’est eux qui ont besoin d’entendre ça. Bien entendu certains pauvres avec du capital culturel littéraire important font comme les bourgeois là dessus par imitation, réflexe appris et volonté de s’élever au dessus de leur classe sociale d’origine mais c’est quand même prioritairement les bourgeois qui ont ces réflexes là. En tant que jeune créatrice de livres spécialisée dans l’imaginaire la plupart des gens quand je leur dit dans quoi je bosse sont admiratifs et en mode c’est bien mais t’as bien une personne sur trois en général et à peu près tout le monde dans les milieux bourgeois qui au contraire n’aime pas ça et a cette réaction : -Non mais vous écrivez quoi (que je saches comment vous juger socialement)? d’un air intéressé, et donc je réponds : de la fantasy, et là boum ce genre de gens se désintéresse de moi et se détourne dédaigneusement et me parle plus comme si je lui avais pété dans la bouche à peu près. Visiblement c’est l’expérience quotidienne énervante la plus souvent rapportée par les auteurs de l’imaginaire.

Bon clairement on a des conditions de travail hyper privilégiée comme truc chiant à vivre au boulot y a largement pire on va pas non plus s’en plaindre dix ans ce serait ingrat envers qui a vraiment un métier atroce mais qu’est ce que c’est chiant. On en a tous marre à un point que vous imaginez pas dans ce milieu, ça nous demande une maitrise de nous mêmes de moine bouddhiste de ne commettre aucun meurtre envers ce genre de personne. En particulier les auteurs de secteurs plus valorisés du monde du livre et leurs éditeurs qui se permettent ce genre de commentaire (littérature blanche surtout les auteurs de polars aussi parfois mais globalement eux ils savent ce que c’est d’être dénigré pour faire de la littérature populaire donc ils sont pas trop chiants et plutôt soutien en général là dessus pour la plupart sauf l’exception des plus snobs et plus proches des réflexes des gens dans la littérature blanche). On nous déteste principalement pour tout un tas de raisons très clichés vite démontées. Sérieux des éditeurs spé imaginaire ont fait des vidéos là dessus ça prend littéralement 5 minutes de défaire ces clichés. Quand on a tout les moyens qu’ont les gens qui les perpétuent le plus pour se renseigner c’est honteux et coupable de continuer de les perpétrer. Genre ces gens sont pour la plupart des abonnés à France Culture et vont dessus tout les jours il leur couterait rien d’aller voir des émissions nombreuses à être plus et mieux renseignées qu’eux sur la fantasy et les autres genres de l’imaginaire sur le site web de leur radio favorite. Cela leur mettrait deux ou trois clics. Pourquoi s’y refusent t’ils?

Une seule réponse possible vu qu’ils ont tout à fait cette capacité faut pas déconner. Le faire ne les intéresse pas assez pour qu’ils osent se faire un peu violence pour aller vers cet effort basique de curiosité de leur part. C’est pas trop pour eux culturellement mais émotionnellement si. Pourquoi? Leur excuse principale est toujours la même : l’imaginaire en général et surtout la fantasy en particulier, cela manquerait de « style ». Donc c’est quoi le style littéraire? Pour pouvoir juger si des oeuvres en ont ou pas et si elle gagnerait ou non à en obtenir d’avantage faudrait déjà commencer par le définir. Et les études de sociologie de la littérature là dessus sont très nettes : https://www.fabula.org/actualites/58166/sociologie-du-style-litteraire-contextes.html, ça se résume en une phrase : plus on écrit loin de la façon d’écrire de la langue la plus commune en usage chez le plus de gens, plus on a du style en littérature. Autrement dit plus on est hermétique, prouve avoir fait des études de lettres de haute volée et lisible par un nombre restreint de personnes plus on a du style selon sa définition la plus standard. En sociologie c’est donc des plus net : le style littéraire est une façade masquant des critères de hiérarchisation littéraire qui ne relèvent que de la distinction de classe au sens bourdieusien du terme.

Et bah oui lire et écrire n’est pas accessible à tous, le faire comme un écrivain qu’on peut éditer d’autant moins, le faire comme dans la littérature blanche en formalisme fort sur le style c’est accessible à quasi personne qui n’est pas né dans un cercle de la bourgeoisie littéraire. Il faut le dire au bout d’un moment. Donc ne juger les livres que sur leur style et les hiérarchiser en fonction c’est s’auto condamner à ne considérer que des auteurs bourgeois ou quasi et avoir un point de vue tout à fait bourgeois sur le monde. On laisse bien quelques transclasses qui ont appris à écrire comme les bourgeois parler parfois mais toujours d’une façon très contrôlée dans ces milieux là au final. C’est assez désespérant. Encore plus triste : cela les persuade d’être intellectuellement et moralement supérieurs au reste de la population les bourges lettrés de pouvoir lire les livres qui n’intéressent qu’eux. Une vraie misère intellectuelle. Qui en plus produit des effets sociaux désastreux. Sur ces aspects je rejoint entièrement le constat de Nicolas Framont.

Et au final quand j’entends les gens qui croient à la distinction entre une vraie et fausse littérature dans les livres (perso ma définition de littérature est  l’ensemble des œuvres écrites ou orales même pas forcément esthétiques vu qu’on parle bien de littérature scientifique par exemple mais pour ce qui est de la littérature perçue comme un art c’est tout ce qui est livre fictif oui j’inclus la BD, les mangas, la littérature érotique…tout en fait, c’est écrit dans des pages c’est de la littérature pour moi) tenter d’expliquer leur idée du style c’est pas bien compliqué au fond un livre auquel ils trouvent du style c’est un livre où ils se retrouvent qui les accrochent parce que leur propre vécu se reflète donc il les touche et vice versa. Autrement dit quand les bourgeois nous disent aimer que les livres avec du style ils nous disent qu’ils n’aiment pas la littérature, ils n’aiment que la distinction sociale que faire semblant de l’aimer en appréciant que les livres bourgeois street cred compatible leur permet. D’ailleurs faite une expérience avec ce genre de gens c’est très rigolo vous verrez. Foutez les devant un livre qu’ils ne connaissent pas dont ils ne savent pas ce que la critique littéraire bourgeoise va dire et demandez leur si ils l’ont aimé ou pas (un livre au titre et à la couverture ambivalents pouvant être ou pas de la littérature blanche comme ils aiment bien sur si c’est trop connoté l’expérience sera gâchée), et vous les verrez buguer comme jamais tant ils sont inaptes à penser par eux mêmes. Leurs avis littéraires ne reflètent pas leur gout personnel mais l’avis de leur classe sociale sur les bons et les mauvais livres.

Et les auteurs de l’imaginaire sont pas tous nés pauvres mais globalement de milieux plus populaires que les auteurs de littérature blanche. Donc ils sont lisibles par des gens ordinaires qui n’ont pas fait de grandes études et c’est exactement au fond ce qu’on leur reproche. D’ailleurs plus ils arrivent à faire des sous avec leur saga fantasy en étant très lus et très vendus plus le monde littéraire bourgeois les fustigent et dénigrent. Cela pue la jalousie à des kilomètres quand même comment osent t’ils écrire des livres qui sont lus et leur font des sous, quel scandale! Lol. Bon il y a aussi que l’imaginaire c’est plutôt né de la contre culture et de gauche dans ses références et les bourgeois qui n’aiment que la littérature bourgeoise sont très réactionnaires et souvent cryptofascistes donc le fustige à chaque occasion.

D’ailleurs les termes pour parler des auteurs qui percent dans une littérature très accessible et vite produite sont très révélateurs « romans de gare », « plus industriel et commercial qu’artistique », « plus de l’artisanat que de la vraie littérature »…on reproche clairement à ces gens d’écrire pour vivre en oubliant que tout les auteurs ne sont pas riches pour se permettre de sortir de ces types d’impasses de marketing éditiorial et continuer à exister en tant qu’écrivains. Dans tout ces jugements le mépris de classe est évident. On reproche dedans quand même directement aux auteurs de ce type d’écrire des livres que tout le monde peut lire pour se distraire dans le train en partant pour des vacances peu chères, et on les fustigent pour écrire d’une façon qui fait ressembler le travail de l’écrivain à un métier de prolétaire d’usine ou à celui d’un artisan.

Sauf que d’où vient la distinction art-artisanat si ce n’est du mépris de classe? Pas déso de casser vos rêves de sous-bourgeois, prolos assumant pas de l’être mais quand on vit de son art on est un artisan comme les autres. Rien ne distingue l’art fondamentalement de l’artisanat, c’est juste un artisanat qui vise à créer des objets offrant un plaisir esthétique. D’ailleurs la distinction entre le « grand art » et l’artisanat d’art est très subjective et souvent empreinte de préjugés sexistes. Qu’est ce hors de la misogynie mêlée au mépris de classe qui fait que la cuisine, la mode et les arts décoratifs ne sont pas perçus comme de grands arts par exemple? Rien du tout.

Ce qui se passe dans ce mépris de la fantasy et de la littérature de l’imaginaire en général c’est tout simplement une réitération des mêmes conneries que celles qui sous tendent les polémiques autour d’Aya Nakamura (hormis qu’elle doit se coltiner le mépris raciste envers sa réussite en plus) , le milieu de la culture jugée légitime, éditeurs, auteurs bourgeois, journalistes etc…de droite comme bobos qui fustigent les succès de gens issus à l’origine de milieux plus populaires qu’eux et dont l’art est surtout apprécié par les mêmes milieux sociaux que ceux dont ils proviennent. Bref c’est du mépris de classe pur jus. Sans colorants mais avec un maximum de conservateurs. Tout les exemples de réussites de ce type dans tout les domaines artistiques le montrent les médias dominants ne les acceptent pas. Les médias alternatifs pour bobos pas tellement non plus à part un de temps à autres histoire de faire semblant de pas être aussi ampoulés que la droite mais bof c’est pas trop crédible.

Faut pas rêver les institutions sont pas là pour aider les artistes émergents des milieux populaires elles sont là pour leur mettre des bâtons dans les roues. Perso plus je suivais ses conseils moins j’allais vers ce que je recherchais pour une raison simple : l’institution tiens à ce qu’on écrive le moins proche de la langue commune. Donc plus mon « style littéraire » augmentait, moins la capacité de mes proches à comprendre ce que j’écrivais existait. Hors, je ne vais pas m’excuser de souhaiter avoir le style le plus démocratique et lisible par un max de gens possible. Je veux écrire d’une façon que si tu sais pas lire et t’as un pote qui peut te lire le contenu à l’oral tu peux me lire quand même sans problème. Je veux écrire d’une façon qu’un enfant peut comprendre ce que je dis même si il vient d’apprendre à lire. Autant dire que sachant tout ça mon point de vue qui en tant qu’autrice pourra choquer beaucoup de collègues de travail sans doute est que je ne suis pas intéressée par avoir « du style », gardez vos prétentions précieuses pour vous svp merci. Pour s’émanciper des critères bourgeois le style à mon sens il faut apprendre à s’en foutre.

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